Espèces blanches : mieux les connaître pour mieux les protéger

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Le vaste projet européen d’étude sur le lièvre variable et le lagopède alpin, qui vient de s’achever, a fait progresser la connaissance de ces animaux très discrets menacés par les changements climatiques. Pour le CREA Mont-Blanc et ses partenaires, il a aussi été l’occasion d’expérimenter de nouvelles méthodes et des technologies porteuses d’avenir pour la recherche scientifique.


Un point d’orgue, mais pas un point final. Les 1er et 2 mars, les participants au projet « POIA Espèces arctico-alpines 2020-2022 » avaient rendez-vous à Barcelonnette pour une réunion de clôture de ce programme d’observation inédit à l’échelle des Alpes françaises. Financé par des fonds européens, il a mobilisé durant 3 ans 5 partenaires de l’ensemble des massifs (CREA Mont-Blanc, Parc national des Ecrins, Parc naturel régional du Queyras, Parc national du Mercantour, Office français de la biodiversité) autour de l’étude de deux espèces emblématiques de la haute altitude : le lièvre variable et le lagopède alpin.

« Ce sont des espèces comparables, à la fois discrètes et peu connues, qui aiment le froid et la neige et changent de pelage ou de plumage en fonction des saisons pour se camoufler. Leur habitat se distribue de manière assez semblable sur les massifs alpins, et elles sont soumises aux mêmes contraintes de réduction de l’enneigement. Le but de ce projet était de comprendre comment elles évoluent face aux effets des changements climatiques » explique Anne Delestrade, directrice du CREA Mont-Blanc. 

La démarche a impliqué de nombreux bénévoles aux côtés des chercheurs, qui ont parcouru au total 2700 km à pied en montagne pour récolter 3800 échantillons.
« Ces relevés systématiques nous ont permis de connaître les paramètres favorables à la présence du lièvre variable, notamment par rapport au lièvre d’Europe avec qui il est en compétition sur les zones de basse altitude, commente Anne. Le point fort du projet est d’avoir pu couvrir l’ensemble de la zone alpine pour modéliser les habitats favorables et leur évolution potentielle jusqu’en 2070. C’est assez unique. »

Une vision globale des massifs alpins

Afin d’observer la répartition et le comportement de ces deux espèces blanches, plusieurs protocoles ont ainsi été mis en place simultanément sur les différents massifs. Pour le lièvre variable, le principal était la collecte de crottes, riches d’indices sur la présence de l’espèce dans les zones étudiées et son évolution sur les 3 ans de l’étude, mais aussi pour comparer les différentes populations grâce à l’analyse ADN. 

Un habitat fortement réduit d’ici à 2070

Concernant le lagopède, le protocole se basait principalement sur la compilation des observations visuelles réalisées sur l’ensemble des Alpes par les partenaires du projet. S’y ajoutaient la collecte de plumes, afin de différencier génétiquement les populations, et l’analyse des crottes pour identifier la présence de parasites intestinaux. Pour l’une comme pour l’autre espèce, les résultats de ces travaux anticipent une importante réduction des zones habitables dans les prochaines décennies, et leur quasi-disparition des zones situées aux marges de la distribution actuelle. Les massifs de très haute altitude (Mont-Blanc, Vanoise, Ecrins) constitueront néanmoins des zones refuges que le lièvre variable et surtout le lagopède pourront coloniser. 

Un terrain d’expérimentation pour les nouvelles technologies

En complément de ces protocoles, le projet POIA a aussi été l’occasion d’expérimenter un certain nombre de technologies innovantes et non invasives pour le suivi des espèces blanches. C’est le cas des pièges photo pour le lièvre, et des capteurs bioacoustiques qui enregistrent les cris des animaux pour le lagopède. Couplés à des systèmes de machine-learning pour l’analyse automatisée des observations, ces nouveaux outils qui identifient et quantifient les espèces présentent un grand intérêt pour le suivi de l’utilisation saisonnière des différents habitats et pour la connaissance du rythme d’activité des individus. « Les pièges photo ont également été l’occasion de solliciter un large public pour le décryptage des images dans le cadre de notre programme Wild Mont-Blanc », ajoute Anne. Autre outil innovant, des balises GPS posées sur les lagopèdes ont fourni des données précises sur leurs déplacements en fonction des saisons et d’une année sur l’autre.

Vidéo très rare d’un affrontement entre lièvre variable et lièvre d’Europe, prise par un piège photo d’un membre de WWF France à Chamonix

De nouveaux savoir-faire dans la boîte à outils du CREA Mont-Blanc

Le CREA Mont-Blanc, qui assurait les observations sur la zone du Mont-Blanc, avait également en charge la coordination des actions de communication du projet. Dans ce cadre, une exposition a été présentée durant l’été 2022 dans plusieurs refuges des Alpes pour faire mieux connaître ces deux espèces au public. Un livret de 60 pages vient également d’être édité pour présenter, dans le détail et de manière accessible à tous, ce programme de recherche, ses enjeux et les résultats obtenus. Le site de l’Atlas Mont-Blanc a par ailleurs été enrichi d’une nouvelle page sur le lièvre variable : la fable du lièvre et du lièvre.

A l’heure où ce projet se termine, le bilan est très intéressant pour l’association, estime Anne : « Au cours de ce travail en commun avec les différents partenaires, nous avons apporté notre contribution à une meilleure connaissance de ces deux espèces pour les Alpes du nord. Les échanges ont été très riches, avec des résultats à l’échelle alpine que nous n’avions pas jusque-là. Nous avons aussi acquis des savoir-faire et des méthodes sur des nouvelles technologies, qui pourront être utilisées pour continuer à étudier et préserver ces espèces difficiles à suivre, mais aussi d’autres espèces dans le cadre d’autres programmes. » Les travaux sur le lièvre blanc et le lagopède devraient en tout cas avoir un prolongement, sous une forme qui reste à déterminer, car ils sont loin d’avoir livré tous leurs secrets. 

> Pour en savoir plus sur le projet POIA Espèces arctico-alpines, le CREA Mont-Blanc vous donne rendez-vous le 9 mars à l’Observatoire du Mont-Blanc pour un science sandwich spécial.

Tout savoir sur ces 2 espèces avec ce petit film d’animation

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