La nature perd ses repères 

Observateurs bénévoles, chercheuses et chercheurs mettent en évidence l’ampleur des anomalies saisonnières dans la nature

Des allures d’automne en plein mois d’août. Photo du 11 Août 2020, « Crêt du Nu » (1351m), Sylvie Pejo.

Vous connaissez la douce mélodie des saisons : printemps, été, automne, hiver. Une mélodie si universelle qu’elle a inspiré l’un des plus grands concertos jamais inventés. Une mélodie qui régit la vie, animale comme végétale, et qui, tel un chef d’orchestre, synchronise les partitions du vivant. Une mélodie des saisons qui assure l’équilibre et l’harmonie de la biodiversité et des écosystèmes. 

Changements de rythmes

Pourtant, peut-être avez vous observé depuis quelques années des anomalies dans certaines partitions, notamment chez certaines essences d’arbres : les feuilles débourrent plus tôt, les fleurs éclosent une deuxième fois dans l’année… Ces anomalies ne sont pas le fruit du hasard, mais bien des conséquences des changements climatiques : la décennie 2011-2020 a été la plus chaude jamais enregistrée (GIEC, 2021). Face à ces changements, animaux et végétaux tentent de s’adapter, notamment en modifiant leurs cycles saisonniers. Ces décalages ne se jouent pas seulement à l’échelle de l’individu ou d’une espèce : ils peuvent modifier le fonctionnement d’écosystèmes entiers. Et si certaines conséquences commencent à être identifiées, d’autres restent encore à découvrir.

Du constat individuel à la démonstration scientifique

Depuis des années déjà, des volontaires partout en France hexagonale suivent de près les arbres qui les entourent, de leur réveil printanier lorsque les premiers bourgeons éclosent, jusqu’à leur endormissement hivernal, au moment où ils perdent leurs feuilles. Année après année, ils collectent ainsi des informations précieuses sur les rythmes de vie des espèces. Leur contribution est essentielle aux équipes de recherche, qui exploitent ces données grâce à des programmes de sciences participatives tels que l’Observatoire des saisons, Abiome, Orchisauvage ou Phénoclim.

Dans une étude publiée dans la revue Scientific Reports (succursale de Nature) en septembre 2025, Isabelle Chuine, Iñaki Garcia de Cortazar-Atauri, Frédéric Jean et Colin Van Reeth font état d’activités saisonnières anormales chez les plantes et les animaux en Europe et dans d’autres pays du monde depuis 2015, en se basant notamment sur ces données de sciences participatives. Ils ont également exploré les signalements d’événements phénologiques anormaux dans les médias traditionnels et sur les réseaux sociaux, en différentes langues (anglais, français et espagnol), depuis 2015. Afin de juger du caractère exceptionnel de ces anomalies et de les comparer à des tendances historiques, les chercheurs et chercheuses ont par ailleurs utilisé des données historiques issues de documents officiels ou bien compilées par le réseau national d’observatoires de la phénologie, le Réseau TEMPO. Ces données regroupent des observations sur une période allant de 1901 à 2004. 

L’ensemble de ces données, actuelles et historiques, a permis aux scientifiques du CNRS, de l’INRAE et du CREA Mont Blanc d’observer les tendances et les événements anormaux pour 22 espèces végétales. 

Une cartographie des anomalies depuis 2015

Grâce à leurs analyses, les scientifiques ont pu mettre en avant quatre anomalies principales en ce qui concerne les végétaux, régulièrement observées dans les régions tempérées, notamment en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord, mais aussi en Asie, en Australie et en Amérique du Sud. 

  • La première concerne une reprise de feuillaison ou de floraison en fin d’été, en automne ou même en hiver, souvent liées à des températures anormalement élevées en automne/hiver, ainsi qu’à des étés particulièrement chauds et secs. Ces reprises tardives s’expliquent par l’absence d’entrée en dormance ou un réveil prématuré, entraînant notamment un risque accru de dégâts de gel. Cela a des conséquences économiques importantes pour les cultures d’arbres fruitiers ou les vignes par exemple, tel qu’on a pu l’observer en 2016, 2020 ou 2021. 
  • La seconde anomalie concerne une floraison erratique et prolongée : provoquée par des hivers trop doux, elle résulte d’une dormance incomplète. Elle peut mener à des malformations florales et à un décalage entre la floraison des arbres et les pics d’activité des pollinisateurs, réduisant la pollinisation et donc la production de graines ou de fruits. Par exemple, lors de l’hiver 2015-2016, certaines espèces ont fleuri jusqu’à 80 jours plus tôt qu’au début du XXe siècle, dû à des températures hivernales extrêmement douces.

Cet article est une collaboration entre le CREA Mont-Blanc et Tela Botanica. Il a été co-rédigé par Maëlys Boënnec (CREA Mont-Blanc) et Garance Demarquest (Observatoire des Saisons – Tela Botanica). Pour découvrir la suite — les autres anomalies végétales, celles observées chez les animaux et leurs conséquences — rendez-vous ici !

Vous aussi, participez à faire avancer la recherche

Un immense merci à toutes celles et ceux qui observent, notent et partagent leurs observations depuis des années. C’est grâce à vous que ces recherches sont possibles, et que nous pouvons mieux comprendre les changements à l’œuvre dans la nature.

Et si vous ne faites pas encore partie de nos programmes, n’attendez plus pour les rejoindre ! 

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Vous habitez en plaine ? Rejoignez l’Observatoire des Saisons !

Pour saisir vos observations d’anomalies phénologiques, c’est ici : Recensement des anomalies phénologiques au cours des saisons !

Références

Chuine, I., Garcia de Cortazar-Atauri, I. , Jean, F., Van Reeth, C.: Living things are showing increasing anomalies in their seasonal activity, which could disrupt the dynamics of biodiversity and ecosystems. In: Scientific Reports. 2025.

Le réchauffement climatique, en modifiant les cycles saisonniers de la biodiversité, perturbe son équilibre | CNRS Écologie & Environnement

GIEC, 2021 : Résumé à l’intention des décideurs. In: Changement climatique 2021: les bases scientifiques physiques. Contribution du Groupe de travail I au sixième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [publié sous la direction de Masson-Delmotte, V., P. Zhai, A. Pirani, S.L. Connors, C. Péan, S. Berger, N. Caud, Y. Chen, L. Goldfarb, M.I. Gomis, M. Huang, K. Leitzell, E. Lonnoy, J.B.R. Matthews, T.K. Maycock, T. Waterfield, O. Yelekçi, R. Yu, et B. Zhou]. Cambridge University Press.

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