Henry David Thoreau, l’un des premiers observateurs Phénoclim

Si vous contribuez à un programme de science participative, vous vous êtes sûrement déjà demandé  : « en quoi mes observations personnelles peuvent-elles aider des scientifiques ? » L’une des meilleures réponses se cache dans l’héritage laissé par un penseur du XIXe siècle : Henry David Thoreau.

Manuscrit de Thoreau commenté par le chercheur Richard Primack [i]

Souvent connu comme un libre-penseur militant et l’un des pères fondateurs de l’écologie politique, Thoreau était d’abord et avant tout un observateur passionné par le monde vivant. Si son ouvrage « Walden, ou la vie dans les bois » défend une vision très critique vis-à-vis de la société de l’époque, il n’en demeure pas moins le récit d’une expérience hors normes : deux ans de vie en solitaire dans une forêt du Massachusetts. Deux années durant lesquelles il observe avec minutie la nature autour de lui. Installé à la lisière d’une forêt, sur les rives de l’étang de Walden, il consigne patiemment ses observations de la faune, de la flore ou de la météo.

En résulte un formidable témoignage naturaliste qui, bien qu’il soit localisé en un lieu très précis, est davantage qu’un simple inventaire. Dates de floraison de plus de 500 espèces, passages des oiseaux migrateurs, arrivées des premières gelées, observations d’insectes pollinisateurs… Thoreau note rigoureusement tout ce qu’il voit, sans jamais manquer de s’émerveiller du monde vivant qui l’entoure. Dans ses écrits, il accorde une grande importance à la phénologie, l’étude des rythmes saisonniers du vivant.

Des informations précieuses pour étudier le changement climatique

Ses observations sont si précises et nombreuses que des scientifiques s’y sont penchés à partir des années 2000 dans le but de les exploiter dans leurs recherches.

En comparant ses mesures avec celles observées de nos jours, ils sont parvenus à étudier certains impacts du changement climatique sur la biodiversité, notamment la désynchronisation phénologique entre espèces.

Ainsi, une équipe de l’Université du Tennessee a étudié les décalages de démarrage de la végétation entre 1845 (première année que Thoreau a passée dans les forêts de Walden) et 2018. Ils ont découvert que, pendant cette période, la feuillaison des plantes sauvages avait avancé d’une semaine en moyenne, quand celle des arbres avait avancé de deux semaines. Une désynchronisation qui pourrait amener les arbres à priver les plantes sauvages de lumière et retarder davantage leur développement.[ii]

Une autre équipe de recherche a démontré que les dates de migration des oiseaux ne changeaient pas ou peu, contrairement à la végétation. Les oiseaux arrivaient dans des forêts et prairies à la végétation plus avancée qu’auparavant. Se pose alors la question de leur adaptation à ces changements, les ressources disponibles n’étant plus tout à fait adaptées à leurs besoins.[iii]

Les recherches basées sur les observations de Thoreau sont nombreuses et les scientifiques eux-mêmes insistent sur la nécessité de poursuivre ces observations aujourd’hui, notamment à travers les sciences participatives.[iv]

Expertise scientifique et expérience amateur

En consignant minutieusement ses observations quotidiennes, Thoreau a en réalité constitué une immense base de données, utilisée aujourd’hui dans la recherche sur le changement climatique. Une finalité qu’il ne soupçonnait certainement pas mais qui est rendue possible par son implication sur le terrain.

Difficile pour le CREA Mont-Blanc de ne pas faire de parallèle avec Phénoclim et ses centaines de participants répartis aux quatre coins des montagnes françaises. La majorité des observateurs ne sont pas des « experts » mais des personnes intéressées par le sujet. Ils notent régulièrement ce qu’ils voient, suivent méticuleusement l’évolution de certaines espèces. Prises individuellement, leurs observations pourraient sembler bien dérisoires pour étudier le changement climatique à l’échelle de nos montagnes. Mais c’est une fois regroupées au sein d’une large base de données qu’elles acquièrent une grande valeur scientifique et constituent un témoignage essentiel.

Tout comme Thoreau au XIXe siècle, les observateurs de Phénoclim et d’autres programmes de sciences participatives contribuent, grâce à leur expérience sur le terrain, à faire avancer les connaissances sur le vivant. Et on l’espère, sans manquer de s’en émerveiller !

[i] https://primacklab.blogspot.com/2022/02/thoreau-ly-observed-170-years-of.html
[ii] “Understory wildflowers need the sunny conditions before the trees leaf out for their energy budgets”, https://www.sciencedaily.com/releases/2019/03/190314192645.htm
[iii] https://www.elsevier.com/connect/tracking-climate-change-with-the-help-of-henry-david-thoreau
[iv] “We hope that many other researchers, including amateur citizen scientists, will repeat the type of studies that we have done to document the biological impacts of climate change in Thoreau’s Concord.”, https://www.elsevier.com/connect/tracking-climate-change-with-the-help-of-henry-david-thoreau

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