Printemps sans fleurs : les scientifiques ont les idées fécondes

Peut-être l’avez-vous remarqué, beaucoup d’arbres n’ont pas donné de fleurs ce printemps. Loin d’être anecdotique, cette absence de floraison se retrouve partout dans les massifs français, avec de grandes disparités selon les espèces.

98% des noisetiers en fleurs, quand seulement 47% des hêtres et des mélèzes ont fleuri. Ce printemps a été très particulier, entre épisodes de gel tardifs et météo capricieuse. Les hypothèses pour expliquer la situation ne manquent pas chez les observateurs de Phénoclim. Mais qu’en est-il vraiment ? Nos connaissances scientifiques permettent-elles d’apporter des réponses ? Nous avons posé quelques questions à Isabelle Chuine, directrice de recherche CNRS au Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE). Elle est également fondatrice de l’Observatoire des Saisons, dont Phénoclim est l’équivalent pour les zones de montagne.

Un phénomène d’alternance habituel…

Si vous aimez admirer les fleurs au printemps vous le savez déjà certainement : les années sans floraison sont monnaie courante pour un certain nombre d’espèces. Pour autant, cela ne signifie pas nécessairement que l’individu est en mauvaise santé. Isabelle Chuine note une hypothèse intéressante pour expliquer ce phénomène d’alternance : celui-ci pourrait être dû à un accès limité aux ressources. Ainsi, afin de garantir une floraison optimale, l’individu “économiserait” les ressources limitées auxquelles il a accès en ne fleurissant pas chaque année. C’est une hypothèse qui pourrait expliquer l’alternance parfois marquée chez certaines espèces, comme l’épicéa par exemple.

… mais amplifié par le changement climatique ?

Si le phénomène d’alternance est habituel, se pose toutefois la question d’une possible influence du changement climatique. En effet, ce phénomène pourrait devenir de plus en plus visible avec les années, suite à la disparition progressive des vétos climatiques. Ces vétos sont un ensemble de conditions climatiques empêchant la floraison. Ces vétos viendraient contrecarrer le phénomène d’alternance en rendant ses effets peu perceptibles. Ainsi, la levée des vétos climatiques rendrait le phénomène d’alternance bien plus visible. Le pari est lancé : assisterons-nous à une floraison massive des hêtres l’an prochain, à la différence des 47% en fleurs cette année ?

Cependant Isabelle Chuine le souligne, cette hypothèse n’est pas forcément synonyme de bonne nouvelle pour les plantes. La disparition des vétos climatiques pourrait signifier des perturbations trop extrêmes induites par le changement climatique. Mais comme elle le répète sans ambiguïté : “encore une fois, on ne sait pas.”

Le “masting” : et si les arbres se synchronisaient ?

Si le phénomène d’alternance semble bel et bien exister, comment expliquer que celui-ci ait été si marqué chez certaines espèces ce printemps ? Cela pourrait s’expliquer par une synchronisation des arbres au sein d’une même population. En effet, le phénomène d’alternance semble s’observer au même moment sur de larges échelles, allant parfois jusqu’à une échelle régionale. Chez certaines espèces, les individus peuvent déclencher leur floraison la même année. Difficile pour le moment d’identifier les mécanismes à l’origine de ce phénomène de “masting” ou “mast seeding” (littéralement “ensemenscement de graines”). Les hypothèses les plus probables concernent les conditions climatiques. Comment le changement climatique va-t-il affecter ce phénomène ? Personne ne le sait pour le moment…

Un univers très mal compris

Isabelle Chuine reste prudente : les études sur la question sont trop peu nombreuses voire inexistantes. A l’inverse des hêtres cette année, les hypothèses fleurissent dans tous les sens. Et si l’absence générale de floraison constatée par les observateurs de Phénoclim n’était due qu’au hasard ? Il est pour le moment difficile de faire la part des choses entre les rythmes de vie d’un individu en particulier et d’une population toute entière. D’autant plus que beaucoup de phénomènes restent incompris. Chez les espèces monoïques (dont les organes mâles et les organes femelles sont situés dans des fleurs différentes, portées par un même plant) on ne sait quand ni comment les bourgeons d’été sont déterminés entre mâles, femelles ou hermaphrodites. Alors même qu’il s’agit d’un mécanisme fondamental en botanique. De même, les floraisons d’automne peuvent être associées aux effets du changement climatique, mais aussi à des circonstances météorologiques exceptionnelles (par exemple un été très sec suivi d’un automne très doux sans véritable entrée en dormance pour les plantes). Là encore, la faible quantité de données scientifiques n’aide pas à faire la part des choses.

C’est pourquoi les programmes de suivi au long cours comme Phénoclim ou l’Observatoire des Saisons sont déterminants pour comprendre les effets du changement climatique sur la flore, mais aussi pour éclairer cet univers si mal compris qu’est le monde végétal. Peut-être même que cet éclairage viendra de manière détournée, en n’observant pas de floraisons. Car comme le note Isabelle Chuine en conclusion : ne rien observer est en soi une observation primordiale !

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