Le frêne, une espèce en transition ?

Classé dans : Sciences participatives | 0

Des plantes femelles, mâles, les deux à la fois ? La grande diversité de sexualité des plantes, résultat de longs processus évolutifs, passionne les scientifiques depuis Darwin. Dans cet article, nous passerons en revue les différentes sexualités des espèces suivies par les participants au programme Phénoclim. L’occasion de se focaliser sur le frêne commun, une espèce qui intrigue les scientifiques encore aujourd’hui.

Des spécialisations sexuelles variées entre espèces

La grande majorité des plantes peut se classer en 3 catégories :

  • Les plantes hermaphrodites : chaque fleur d’un plant est bisexuée, c’est à dire composée d’un pistil (organe femelle) d’où se formera la graine une fois fécondé et d’étamines qui portent le pollen (organe mâle).
  • Les plantes monoïques : les organes mâles et les organes femelles sont situés dans des fleurs différentes, portées par un même plant
  • Les plantes dioïques : les organes mâles et les organes femelles sont portés par des plants différents
Figure 1 : Une représentation schématisée des sexualités les plus communes chez les plantes. Schéma adapté depuis cette illustration produite par (c)Nefronus, licence CC BY-SA 4.0

Les espèces hermaphrodites représentent 73% des plantes, les monoïques environ 7-10% et les plantes dioïques environ 3-6% (Yampolsky et Yampolsky, 1922 ; Richards, 1997).

Du point de vue de l’évolution, la spécialisation sexuelle (plantes dioïques) s’est faite à partir d’un état ancestral hermaphrodite, et ce à plusieurs reprises. Les avantages et inconvénients de ces différentes stratégies sont bien connus.

Pour les plantes monoïques et hermaphrodites, la reproduction est facilitée par la proximité des organes mâles et femelles, les grains de pollen passant sans difficulté de l’un à l’autre. Les risques de consanguinité sont en revanche très élevés chez ces espèces, et certaines ont développé des mécanismes variés pour limiter ce risque (incapacité de s’auto-féconder, floraison décalée entre fleurs mâles et femelles d’un même plant, etc.).

Pour les plantes dioïques, la reproduction peut s’avérer plus compliquée (d’où la faible proportion de ce type de plantes) : les organes mâles et femelles sont forcément situés sur des plants différents, et sont donc plus distants. Par contre ce mode de reproduction engendre un croisement génétique plus important, favorisant ainsi la diversification du patrimoine génétique.

Des stratégies alternatives

Les espèces suivies par les participants au programme Phénoclim peuvent être classées entre ces trois catégories (Figure 1). Toutes ? Non ! Le frêne commun résiste encore et toujours à la conformité. Et la vie n’est pas facile pour cette plante comme pour d’autres dont les modes de reproduction portent des noms barbares : trioécie, gynomonoécie, gynodioécie, andromonoécie, androdioécie, polygame, subdioécie, etc.

Le frêne, une espèce en transition ?

Le frêne commun, Fraxinus excelsior, est un arbre pollinisé par le vent qu’on retrouve dans toute l’Europe et l’Asie Mineure. En France, la floraison a lieu au début du printemps (mars-avril) pendant trois à quatre semaines, avant l’émergence des feuilles (mai). Les arbres commencent à fleurir à environ 30 ans. F. excelsior intrigue les biologistes depuis longtemps (Shultz, 1897) parce que les individus de cette espèce présentent une grande variation dans l’expression de leurs organes mâles et femelles (Figure 2).

Le frêne est en effet une espèce subdioïque, c’est-à-dire qu’elle produit des plantes ne comportant que des fleurs mâles ou que des fleurs femelles ou que des fleurs bisexuées, mais des plantes peuvent avoir à la fois des fleurs bisexuées et des fleurs mâles ou femelles.

Figure 2 : les différents types d’expression de la sexualité des frênes communs. Schéma adapté depuis cette illustration produite par (c)Nefronus, licence CC BY-SA 4.0

Albert et al. (2013) ont observé des frênes qui ne comportaient que des fleurs mâles une année, et qui possédaient l’année suivante uniquement des fleurs femelles. Pour cette raison, le frêne peut aussi être considéré comme une espèce trioïque ou polygame (comme le Silène acaule), c’est-à-dire qu’un plant possède des fleurs mâles, femelles et bisexuées, simultanément ou en alternance d’une année sur l’autre.

On pourrait penser qu’en ayant des fleurs bisexuées, le frêne pourrait profiter d’une assurance vis-à-vis de la reproduction (voir ci-dessus) … mais le frêne est une espèce auto-incompatible : les fleurs d’un même arbre ne peuvent pas (ou très peu) s’autopolliniser !

Pour expliquer ce constat, les scientifiques évoquent plusieurs scenarii évolutifs : le mode de reproduction actuel du frêne pourrait être (i) un état transitoire vers un état dioïque ; (ii) un état transitoire vers un état androdioïque (plants avec que des fleurs mâles ou que des fleurs bisexuées) ; (iii) un état relativement stable, qui piocherait dans les avantages des différents modes de reproduction (Albert et al., 2013 ; Saumitou et al. 2018).

Implication pour les Phénoclimeurs

Les participants au programme Phénoclim notent, entres autres, la date de floraison du frêne depuis 2004. Bien que la difficulté de l’observation de la sexualité du frêne soit certaine, cela n’impacte pas la réalisation des observations par les Phénoclimeurs. Nul besoin d’aller disséquer chaque fleur de l’arbre : les fleurs mâles, femelles et bisexuées s’épanouissent simultanément. Pour noter la floraison du frêne (et de toutes les autres espèces Phénoclim), il suffit donc de guetter la semaine où 10% des fleurs de l’arbre sont ouvertes, quelle que soit la nature des fleurs.

Pour aller plus loin

Références

Albert, B., Morand-Prieur, M. É., Brachet, S., Gouyon, P. H., Frascaria-Lacoste, N., & Raquin, C. (2013). Sex expression and reproductive biology in a tree species, Fraxinus excelsior L. Comptes rendus biologies, 336(10), 479-485.

Richards, A. J. (1997). Plant breeding systems. Garland Science.

Saumitou-Laprade, P., Vernet, P., Dowkiw, A., Bertrand, S., Billiard, S., Albert, B., Gouyon, P.H., & Dufay, M. (2018). Polygamy or subdioecy? The impact of diallelic self-incompatibility on the sexual system in Fraxinus excelsior (Oleaceae). Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 285(1873), 20180004.

Schulz (1894). Beitrage zur Morphologie und Blüthen. Berichte der deutschen botanischen Gesell-schaft, 1894(10), 395-409.

Yampolsky, C., & Yampolsky, H. (1966). Distribution of sex forms in the phanerogamic flora (Vol. 3). Swets & Zeitlinger.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *