Vers un Mont-Blanc plus vert

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Avec ses somptueux glaciers et ses aiguilles vertigineuses, le massif du Mont-Blanc est souvent dépeint comme un espace de haute montagne infertile et sans vie. Pourtant, grâce au réchauffement climatique, les plantes grimpent de plus en plus haut, gagnant du terrain suite au recul des glaciers et des névés. Trente ans d’images satellites, analysées au CREA Mont-Blanc, montrent une tendance manifeste au « verdissement », défini par l’augmentation conjointe de la surface occupée par les plantes et l’accroissement de leur productivité, dans les habitats alpins enserrant le massif. Les changements les plus spectaculaires ont lieu à la frontière avec la neige et la glace, et contribuent, petit à petit à la transformation de ce paysage emblématique de haute montagne.

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Une prairie alpine dans le Jardin de Talèfre, au cœur du massif du Mont-blanc, située au-dessus du Glacier de Talèfre. Photo: Brad Carlson 

Trente ans d’images du satellite Landsat, de 1987 à 2017, ont été analysées au CREA Mont-Blanc. Pour chaque année, le maximum de  l’Indice de Végétation par Différence Normalisé (en anglais NDVI: Normalized Difference Vegetation Index. Voir encadré) a été extrait d’images prises en été. Il représente la productivité maximum annuelle de la végétation, par parcelle de 30×30 m2, de la zone du Mont Blanc. Les variations du NDVImax sur ce laps de temps, ont été quantifiées par régression linéaire (Fig.1B) puis analysées en pourcentage de variation (Fig.1C). Les résulats révèlent de substantielles augmentations de la productivité végétale et de la biomasse dans les hautes régions d’habitat du massif, en particulier au-dessus de la limite forestière (Fig.1) qui sont des signes incontestables de « verdissement ». Quelques zones dites de « brunissement » où la productivité végétale a diminué, peuvent également être observées, principalement dans les endroits urbanisés de la vallée et dans certaines zones boisées.

6 processus contribuant au verdissement et brunissement observés dans le massif du Mont-blanc

 (I) L’urbanisation : Avant le boom de l’industrie touristique du ski et de montagne dans les Alpes, la population de la vallée de Chamonix était une fraction de ce qu’elle est aujourd’hui et le paysage se composait en grande partie de champs dédiés au pâturage et à la culture avec des maisons éparpillées et de petits centres de village. A partir des années soixante-dix, la vallée s’est construite et densifiée, avec pour conséquence une diminution de la couverture végétale et, par conséquent, une tendance au « brunissement » qui est détecté par satellite, y compris au cours des 30 dernières années.

(II) Remontée de la forêt : Depuis les années 1950, la limite supérieure de la forêt dans le massif du Mont-blanc, appelée limite forestière, est remontée en moyenne de 60 m. Cette augmentation observée aussi bien dans la région du Mont-blanc que dans l’ensemble des Alpes, est le résultat d’interactions complexes entre le changement climatique et l’utilisation des terres et notamment les pratiques pastorales de la région. Le réchauffement climatique permet aux arbres de trouver un habitat convenable et ainsi de s’établir progressivement plus haut en altitude. L’abandon des pâturages et de la culture des terres en montagne a également permis aux arbres de recoloniser des habitats de prairie. À basse altitude, la prolifération du scolyte due au réchauffement climatique a contribué au déclin des forêts d’épicéas dans plusieurs zones de la vallée de Chamonix.  

(III) Expansion des ligneux : Bien que moins bien étudiés dans les systèmes alpins que dans l’Arctique, les facteurs climatiques et les pratiques de culture des sols influençant la répartition des différents espèces ligneuses (appelées landes), favorisent l’expansion et la migration ascendante d’arbustes de montagne tels que l’aulne, le rhododendron et le genévrier commun. En plus de modifier l’aspect du paysage, l’invasion des milieux ouverts par quelques espèces d’arbustes, peut provoquer une forte baisse de la diversité locale des plantes (exemple : la réduction observée de 50 à 20 espèces dans un terrain de 10 x 10 m suite à l’arrivée de l’aulne vert ; Anthelme et al. 2007).

Figure 1. (A) Carte des habitats actuels dans le massif du Mont-blanc (source : J. Renaud-LECA). (B) Tendances du pic de productivité végétale (NDVImax) entre 1987 et 2017. Les valeurs positives (en jaune et vert) représentent une augmentation de la productivité végétale au fil du temps, tandis que les valeurs négatives (brun) indiquent une diminution de cette productivité. Les tendances pour chaque cellule de la grille sont le résultat d’un modèle d’évolution linéaire ajusté sur les NDVImax de chaque année. (C) Pourcentage de variation de la productivité végétale (NDVImax) entre deux périodes : P1 (1987-1993) et P2 (2011-2017). Les valeurs positives (jaune et vert) montrent une augmentation de la productivité végétale (en %). La variation (en %) entre deux périodes est définie comme le logarithme du rapport des NDVImax (log(P2/P1)). Sur les figures (B) et (C), les zones blanches correspondent à des zones non végétalisées, sans signal NDVI observé (NDVImax < 0,01) au cours de la période 2013-2017). Source: Landsat 5 et 8, United States Geological Survey.

(IV) Biomasse accrue : Il est tout à fait possible qu’une même espèce végétale, par exemple la laîche fausse-brize illustrée dans la Figure 1 (IV), vienne à bénéficier d’une saison de croissance plus longue et plus chaude, avec une diminution de la durée de la couverture de neige et ainsi produise une biomasse plus importante, c’est-à-dire qu’elle grandisse plus ou produise plus de feuilles, sans aucun changement dans la composition même de la communauté végétale.  

(V) Thermophilisation : Le réchauffement climatique permet aux espèces adaptées à des conditions plus chaudes de migrer plus haut, ce qui entraîne un accroissement du nombre d’espèces présentes dans les habitats de haute-montagne ainsi que de la densité du couvert végétal. Les taux de colonisation des plantes alpines apparaissent ainsi fortement corrélés à l’augmentation de la température : par exemple, le taux d’augmentation des espèces de plantes sur les sommets des montagnes européennes, a été mesuré être cinq fois plus élevé pour la période 2007-2016 par rapport à celle de 1957-1966 (Steinbauer et al. 2018).

(VI) Colonisation végétale suite au retrait des glaciers : Le déclin accéléré des glaciers des Alpes au cours des dernières décennies (Figure 2) a ouvert de nouveaux espaces à la végétation. Bien que l’expansion soit limitée par la composition des sols et la pente (outre les habituelles barrières climatiques), l’abondance de l’eau et le manque de compétition a permis à plusieurs espèces de plantes de rapidement coloniser ces nouveaux habitats.

Verdissement au détriment de la neige et la glace

           La NASA définit la « cryosphère » comme l’ensemble de l’eau gelée du système terrestre, comprenant la glace de mer, de lac et de rivière, les glaciers, la neige et le sol gelé en permanence (permafrost). La Figure 1A montre la forme caractéristique résultant de la combinaison complexe de glacier et de granit qui forme le cœur du massif du Mont-blanc, largement composé des différents éléments de la cryosphère. Le réchauffement accéléré permet aux plantes de ronger cette frontière et ainsi d’étendre leur habitat au fur et à mesure que glaciers et névés reculent (Figure 2).

En parallèle des extensions rapides du couvert végétal dues au recul des glaciers, le phénomène de verdissement est aussi lié à un autre compartiment de la cryosphère : la neige. En effet, une des hypothèses sur l’augmentation de la productivité des prairies alpines dans la région du Mont-blanc repose sur la diminution de la durée de la couverture saisonnière de neige, bien observée au cours de ces dernières décennies. À 2400 m dans le massif du Mont-blanc, le nombre de jours sans neige au sol est passé d’environ 110 dans les années 1970 et 80 à 140 jours au cours de la dernière décennie (+ 30 jours sans neige ; Météo-France CNRS/CEN ; Durand et al., 2009 a). En outre, les températures estivales ont fortement augmenté, ce qui entraîne des étés plus longs et plus chauds (~ + 2 ° C depuis les années 1980 ; Météo-France CNRS/CEN ; Durand et al., 2009 b). Pour les plantes alpines dépendant de la période sans neige au sol, de la température et de l’énergie solaire disponible, un mois potentiel de croissance supplémentaire représente une énorme aubaine autorisant une prolongation de la photosynthèse non seulement pour les plantes établies mais aussi pour les espèces les plus compétitives, moins spécialisées et venant de plus basse altitude. En revanche, une disparition printanière du manteau neigeux trop précoce accroît l’exposition des plantes à des températures basses, au moment où les tissus végétaux sont les plus vulnérables. Pour certaines plantes alpines, une fonte des neiges prématurée peut entraîner des effets de gel et dégrader la croissance future (Wipf et al., 2009), ce qui pourrait à contrario, conduire localement à un brunissement de la végétation alpine.

 

Figure 2. Aire couverte par les glaciers en 1952 (bleu foncé) et 2008 (bleu clair). La ligne pointillée rouge dans l’encart en haut à gauche représente l’extension du glacier dans les années 1970. Au cours des 30 dernières années, des changements spectaculaires du couvert végétal ont eu lieu dans les zones où la glace a disparu entre 1952 et 2008. Données source : Institut des Géosciences de l’environnement CNRS

 

Quid du proche avenir ?

Des montagnes plus vertes sont susceptibles de toucher les visiteurs et les résidents des Alpes d’au moins trois façons différentes : (i) en modifiant l’apparence et l’esthétique du paysage, (ii) en contribuant à la stabilisation des pentes raides de moraines, laissées par les glaciers et (iii) en temporisant le ruissellement de l’eau dans les bassins versants de haute montagne. On doit aussi garder à l’esprit le risque d’« homogénéisation des paysages », par accroissement du couvert mono-arbustif entraînant l’exclusion d’espèces de plantes alpines spécialistes.

Au CREA Mont-blanc, un de nos premiers objectifs de recherche est de combiner les observations de terrain des changements à long terme dans la végétation de montagne avec l’imagerie par satellite, afin de mieux comprendre les processus qui contribuent aux changements dans le paysage du Mont Blanc. Bien qu’il y ait encore beaucoup à apprendre, trente ans d’observations conduisent à une conclusion claire : les températures continuant d’augmenter, on peut s’attendre à une transformation de plus en plus rapide de ce paysage emblématique de haute montagne dans les années à venir.

References

Anthelme, F., Villaret, J. C., & Brun, J. J. (2007). Shrub encroachment in the Alps gives rise to the convergence of sub‐alpine communities on a regional scale. Journal of Vegetation Science, 18(3), 355-362.

Carlson, B. Z., Corona, M. C., Dentant, C., Bonet, R., Thuiller, W., & Choler, P. (2017). Observed long-term greening of alpine vegetation—a case study in the French Alps. Environmental Research Letters, 12(11), 114006.

Durand, Y., Giraud, G., Laternser, M., Etchevers, P., Mérindol, L., & Lesaffre, B. (2009a). Reanalysis of 47 years of climate in the French Alps (1958–2005): climatology and trends for snow cover. Journal of applied meteorology and climatology, 48(12), 2487-2512.

Durand, Y., Laternser, M., Giraud, G., Etchevers, P., Lesaffre, B., & Mérindol, L. (2009b). Reanalysis of 44 yr of climate in the French Alps (1958–2002): methodology, model validation, climatology, and trends for air temperature and precipitation. Journal of Applied Meteorology and Climatology, 48(3), 429-449.

Myers-Smith, I. H., Forbes, B. C., Wilmking, M., Hallinger, M., Lantz, T., Blok, D., … & Boudreau, S. (2011). Shrub expansion in tundra ecosystems: dynamics, impacts and research priorities. Environmental Research Letters, 6(4), 045509.

Steinbauer, M. J., Grytnes, J. A., Jurasinski, G., Kulonen, A., Lenoir, J., Pauli, H., … & Bjorkman, A. D. (2018). Accelerated increase in plant species richness on mountain summits is linked to warming. Nature, 556(7700), 231.

Wipf, S., Stoeckli, V., & Bebi, P. (2009). Winter climate change in alpine tundra: plant responses to changes in snow depth and snowmelt timing. Climatic change, 94(1-2), 105-121.

Authorship

Brad Carlson, CREA Mont-Blanc – January, 2019. In collaboration with the Laboratoire d’Ecologie Alpine (LECA).

Projet financé avec le concours de l’Union européenne. L’Europe s’engage sur le Massif Alpin avec le Fonds Européen de Développement Régional. 

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