Ils sont glaciologues, écologues, climatologues, botanistes, sociologues… travaillant en collaboration au sein de la Zone Atelier Alpes. Comme chaque année, ils se sont retrouvés – à distance en raison du contexte sanitaire – pour échanger sur les différents projets de recherche menés par le réseau. L’occasion pour le CREA Mont-Blanc, engagé dans plusieurs programmes, de présenter son protocole de pièges photos associé à l’observatoire ORCHAMP et les résultats de l’expédition menée l’été dernier sur les îlots de laMer de Glace.
Comme chaque année, le CREA Mont-Blanc a participé fin novembre aux journées de la Zone Atelier Alpes (ZAA), réseau pluridisciplinaire d’observation et de recherche actif sur l’ensemble des massifs alpins français. Principalement portée par le CNRS et l’INRAE, la ZAA réunit des laboratoires scientifiques et des acteurs territoriaux tels que les gestionnaires d’espaces protégés pour étudier les écosystèmes alpins dans le contexte du changement climatique et des activités humaines. Les observatoires mis en place dans ce cadre assurent un suivi dans la durée, afin de disposer de résultats comparables pour les différents massifs et d’une vision représentative de l’ensemble des territoires alpins.
Le CREA Mont-Blanc, base logistique de l’observatoire Orchamp à Chamonix
Le CREA Mont-Blanc s’implique de différentes manières dans la ZAA, d’abord comme gestionnaire de site, responsable des infrastructures de suivi sur le massif du Mont-Blanc. C’est le cas en particulier sur Orchamp, observatoire à grande échelle coordonné par le Laboratoire d’écologie alpine (LECA). Sur ce programme, nous sommes chargés de gérer les placettes permanentes de suivi du milieu installées tous les 200 m d’altitude entre 1300 et 2500 m sur le massif du Mont-Blanc. A chacun des ces paliers, des relevés précis et réguliers donnent une vision globale des l’évolution des écosystèmes à long terme : abondance et diversité de la végétation, analyse du sol, températures, enneigement, activité humaine… « Sur ce volet, notre rôle est essentiellement logistique : il faut entretenir les placettes, surveiller et à maintenir en état le matériel, changer les capteurs quand c’est nécessaire, accueillir les chercheurs. Nous sommes un peu leur camp de base », détaille Anne Delestrade, directrice du CREA Mont-Blanc.
Expérimentation prometteuse de pièges photo
Depuis deux ans, le CREA Mont-Blanc expérimente en plus sur les placettes dont il s’occupe un dispositif de piégeage photo pour observer la faune aux différentes altitudes. Les journées de la ZAA étaient l’occasion de présenter ce nouveau protocole dont la méthodologie est aujourd’hui validée, malgré les difficultés liées à la complexité du milieu, notamment pour la maintenance des batteries et la récupération des données. Une trentaine d’appareils installés sur les placettes prennent une photo chaque jour à heure fixe et déclenchent chaque fois qu’ils détectent un mouvement. Cela permet d’obtenir à la fois des informations complémentaires des données d’Orchamp, comme les cycles saisonniers ou l’état de la végétation, et de connaître la fréquentation des différentes espèces animales. « L’objectif est d’arriver à estimer l’évolution de leur fréquentation en fonction de la saison, des conditions climatiques et de l’évolution du milieu, explique Anne. Ce dispositif qui observe en permanence sans déranger les animaux fournit des quantités énormes d’informations : en un an et demi, nous avons recueilli plus de 300000 images. Au-delà de la maintenance des installations, il faut donc aussi être capable de traiter cette masse d’information. » C’est dans ce but que nous avons lancé notre nouveau programme de science participative, Wild Mont-Blanc, invitant des observateurs bénévoles à décrypter les photos. Nous sommes également en train de développer un système de machine learning qui permettra d’automatiser l’analyse.
Revisiter les explorations du XIXe siècle
Autre collaboration menée dans le cadre de la ZAA, le CREA Mont-Blanc a participé l’été dernier à une expédition sur les traces du guide, naturaliste et ancien maire de Chamonix Venance Payot. Celui-ci avait réalisé à la fin du XIXe siècle un inventaire de la flore vasculaire présente sur les « îlots de la Mer de Glace » émergés au milieu des glaciers. Brad Carlson, chargé de recherche au CREA Mont-Blanc et guide de montagne, Sébastien Lavergne, biologiste en évolution au LECA et Cédric Dentant, botaniste au Parc national des Ecrins, et Nicolas Bartalucci (guide de montagne et stagiaire M2 LECA/Parc national des Ecrins) ont revisité les sites que Payot avait explorés pour observer la manière dont la diversité floristique avait évolué en 150 ans. Leurs résultats, qu’ils ont partagés aux journées de la ZAA, montrent un changement spectaculaire sur les sites les plus grands et les plus bas. « Par exemple, au Tacul à 2200 m d’altitude, on est passé de 6 à 83 espèces. Un peu plus haut, au Couvercle, le nombre d’espèces a doublé de 60 à 120, note Brad Carlson. A l’inverse, les sites de haute montagne ont très peu bougé. Aux Grands Mulets, à 3100 m, nous n’avons trouvé que 4 nouvelles espèces, dont 1 sûre. »
Plusieurs hypothèses pourraient expliquer ces différences, notamment le plus grand isolement des îlots en altitude, ou encore les différences climatiques : le réchauffement de 2° aux altitudes et le moindre enneigement dans les îlots les plus bas a pu les faire évoluer vers les seuils limites qui rend ces milieux plus accueillants pour nouvelles espèces végétales. « C’est une collaboration très enrichissante avec une forte dimension historique, conclut Brad. Pour nous, c’est important d’insérer nos travaux locaux dans le massif dans un réseau plus large. Nous espérons bien poursuivre ces démarches de revisite dans d’autres massifs. »
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