Chaque protocole scientifique a ses particularités et doit faire l’objet de vérifications. Valider la qualité des données des sciences participatives est une condition indispensable à la construction d’études scientifiques rigoureuses. Marjorie Bison fait le point sur les données de Phénoclim.
La fiabilité des données est un sujet très important dans le milieu des sciences participatives. Nous avons déjà abordé le sujet plusieurs fois, notamment dans l’état des lieux Sciences participatives : histoire et avenir des données ou dans l’article de méthodologie Les données de sciences participatives sont-elles fiables ?.
Phénoclim : décalages des cycles saisonniers face aux changements climatiques
Pour tenter de répondre à cette grande question, nous avons donc exploré les données issues de Phénoclim, notre programme qui surveille l’impact du changement climatique sur les cycles saisonniers de différentes espèces. Les bénévoles qui participent à ce programme doivent relever les dates de débourrement, de feuillaison et de floraison des espèces qu’ils suivent. Depuis 2004, près de 35 000 observations d’évènements phénologiques d’arbres ont été relevées par des participants aux profils variés.
Consulter le dernier bilan des observations : Bilans de saison Phenoclim
Quelles données ont été choisies pour les analyses ?
Dans les analyses sur la fiabilité des données réalisées ici, nous nous intéressons principalement aux arbres : le bouleau verruqueux (Betula pendula), le frêne (Fraxinus excelsior), le noisetier (Corylus avellana), le mélèze (Larix decidua), l’épicéa (Picea abies) et le sorbier (Sorbus aucuparia). Nous avons focalisé nos analyses sur les dates d’apparition des bourgeons au printemps (débourrement). En effet, ce stade est relativement facile à observer chez toutes les espèces, et de plus, est fortement dépendant de la température. Nous comparons les données des dates de débourrement entre 2005 et 2016 de participants que nous classons en trois catégories : les professionnels, les scolaires (écoles et centres de découverte) et les particuliers.
Pourquoi comparer les données par rapport aux catégories de participants ?
Nous voulons savoir si les professionnels, les écoles et les particuliers sont capables de détecter les mêmes changements à long-terme de date de débourrement. Les tendances qui se détachent des analyses scientifiques, à savoir un débourrement plus précoce lors des printemps chauds en lien avec le réchauffement climatique, sont-elles aussi précises chez les professionnels, les scolaires et les particuliers ? Si ce n’est pas le cas (suspense), nous devons comprendre d’où viennent ces différences pour limiter les erreurs.
Les participants observent-ils cet avancement de la date de débourrement ?
Oui, chez le bouleau verruqueux, le frêne, le noisetier et le mélèze, ce qui est conforme à de précédentes études. Au contraire, on observe un retard dans les dates de débourrement de l’épicéa et du sorbier. Comme l’épicéa nécessite une grande quantité de froid en hiver puis une certaine quantité de chaleur au printemps pour débourrer, nous supposons que le réchauffement des hivers entraîne ainsi un retard de débourrement, l’épicéa ayant besoin de plus de temps pour atteindre ses besoins en froid.
Nombre de jours de décalage (avancement en bleu ou retard en orange) par décade pour chaque espèce. Par exemple, la date de débourrement du bouleau verruqueux a été avancée de 4 jours en 10 ans. Les barres autour des points représentent les intervalles de confiance. Ainsi, lorsque les intervalles de confiance intègrent « 0 », alors l’avancement ou le retard n’est pas significatif.
Ces tendances sont-elles les mêmes entre les différentes catégories de participants ?
Chez le frêne, le noisetier et l’épicéa, les tendances (avancement ou retard) sont les mêmes entre les différents groupes, ce qui est très encourageant. Il est cependant difficile de dire pourquoi les tendances ne sont pas les mêmes entre les différentes catégories de participants chez le bouleau, le mélèze et le sorbier étant donné que les tendances ne sont pas significatives et que ce n’est pas toujours le même groupe qui est différent des deux autres. La réponse ici n’est donc pas simple et il faudrait réaliser des études supplémentaires pour pouvoir en extraire une explication valable.
La précision entre les différentes catégories de participants diffère. Que peut-on en déduire ?
La précision est la tendance des observations répétées à être dispersées. Ainsi, des observations répétées peu précises seront très dispersées. On observe une précision de la tendance des dates de débourrement plus élevée chez les professionnels (à droite) chez toutes les espèces sauf le noisetier. Les écoles, quant à elles, ont des valeurs plus faibles de précision (à gauche), excepté chez le sorbier et le mélèze.
Représentation de la précision dans notre cas de figure. A gauche, une tendance d’avancement des dates de débourrement peu précise (points très dispersés). A droite, une tendance très précise.
Pour mieux comprendre la différence entre biais, exactitude et précision, consultez l’article Fiabilité des données de science participatives
Quelle pourrait être l’origine de ces différences entre les catégories de participants ?
Les différences de précision entre les différentes catégories de participants semblent résulter d’un compromis entre le nombre d’années de participation dans le programme et le nombre de sites suivis par espèce. Ainsi, les scolaires affichent, de manière générale, une moins bonne précision dans les tendances, non pas parce qu’ils sont moins bons dans l’évaluation des dates de débourrement, mais du fait de leur faible nombre d’années moyen de participation dans le programme Phénoclim. Pour qu’ils atteignent une meilleure précision, nous devrions donc les impliquer plus longuement dans le programme ou encore augmenter le nombre de sites suivis.
Nombre d’années moyen de participation dans le programme et nombre de sites suivis par catégorie de participants
Finalement, les données de Phénoclim sont-elles fiables ?
Oui ! Notre étude met en avant l’utilité d’engager des volontaires dans des programmes de suivi à long-terme de la biodiversité afin de documenter des changements écologiques. En effet, nous montrons qu’il est possible d’observer des tendances significatives de la phénologie, et plus particulièrement un avancement de la date de débourrement dans le temps pour quatre espèces sur six, ce qui est en lien avec la littérature scientifique. Nous montrons aussi que le taux de rétention dans le programme (la « fidélité » des participants) et le nombre de sites suivis ont une forte influence sur la précision de la tendance, ce qui explique les différences de précisions entre les différentes catégories de participants. Par conséquent, cette étude apporte une conclusion positive sur les projets de sciences citoyennes mais fait aussi part de l’importance de collecter des données de manière attentive, à la fois de la part des professionnels et des volontaires.
Rédaction : Marjorie Bison
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