Quelles sont les interactions entre les sports de nature et la faune emblématique ?

En alliant sociologie et écologie, la doctorante Léna Gruas nous présente ses premiers résultats sur la cohabitation entre les usages récréatifs de la montagne et la faune emblématique. Un croisement disciplinaire très fructueux qui permet de (re)penser nos rapports aux écosystèmes !

Bouquetin dans les Aiguilles Rouges, face au massif du Mont-Blanc © Hillary Gerardi 

Qu’est-ce qu’un bouquetin répondrait à la question « avez-vous le sentiment d’être dérangé par la faune locale ? ». Faute de ne pouvoir interroger directement la faune emblématique, Léna Gruas s’intéresse aux humains et à leur perception du dérangement causé par les activités sportives – ski de randonnée, trail, raquettes et randonnée- sur les animaux.

Vers une meilleure compréhension des pratiquants : Des skieurs de randonnée détachés et des raquettistes émerveillés ?

Armés de patience et de bonne humeur, Léna et son équipe attendent le retour des sportifs sur le parking des Aiguilles Rouges, questionnaires à la main, comme la marmotte guette les randonneurs de passage. L´étude se déroule sur trois massifs emblématiques de la région : la réserve naturelle des Aiguilles Rouges, le parc naturel régional du massif des Bauges, et la réserve nationale de chasse et de faune sauvage de Belledonne. La doctorante nous informe que l’étude se déploiera prochainement au sein du parc national de la Vanoise, afin d’intégrer un nouveau régime de protection dans l’analyse.

Actuellement, 1720 questionnaires ont déjà été remplis. Léna nous donne quelques billes sur la sociologie et la psychologie environnementale, des disciplines qui permettent de penser la relation au cadre de vie et les effets de l’environnement physique sur les comportements. À contre-courant des idées reçues, la doctorante nous présente ses premiers résultats, une esquisse de typologie des « profils types » – des panels de réactions et sentiments mis en lien avec les caractéristiques socio-économiques des enquêtés. Nous apprenons notamment que 50% des pratiquants de ski de randonnée déclarent « être émerveillés » par la vue d’un animal. Le pourcentage des raquettistes pour la même affirmation s’élève, quant à lui, à 80%. Pour les sports d’été, ce sont les trailers qui se montrent les plus enthousiastes.

Les biologistes s’agitent dans la salle. Qu’en est-il des réactions comportementales de la faune ? les résultats indiquent un lien fort entre la perception du dérangement de la faune et le comportement de l’animal. Par exemple, une distance conséquente entre le sportif et l’animal indique une perception du dérangement nulle. Nous observons également que certaines réactions des animaux- comme émettre un son ou changer d’attitude sont source d’incompréhension vis-à-vis de l’estimation de l’impact par les enquêtés.

Une étude citée par Léna (disponible ici) met en évidence l’augmentation du stress physiologique, la diminution de la densité de l’habitat et des problèmes de reproduction accrus pour les populations les plus exposées aux sports de nature. Les auteurs de le la publication ont passé en revue 274 articles portant sur les interactions entre les activités récréatives et la biodiversité, et sont parvenus à la conclusion que 59% des effets de ces interactions sont « négatifs ». Ainsi, les aires de distribution et le taux de survie de la faune peuvent être directement influencés par les sports de nature- une donnée qui nous fait réfléchir sur les moyens disponibles pour atténuer son impact lors de sa pratique sportive.

 

Prévoir son impact sur la faune comme l’on prévoit ses itinéraires ?

Les échanges après la présentation glissent vers les liens de causalité entre la montée du pic de stress et la longévité des animaux. Plusieurs études en Suisse et aux États-Unis se sont attardées sur les conséquences des passages répétés sur les sites d’hibernation, et notamment l’accélération du rythme cardiaque pour les animaux. Alors que la plupart des pratiquants de sports d’hiver étaient au courant de l’existence des zones de quiétude et les respectent, Léna signale que 17,5% des enquêtés déclarent ne pas les respecter, ce qui prépare le terrain pour penser les formes de sensibilisation et d’éducation les plus adaptées aux milieux montagnards.

Extrait de la présentation de Léna Gruas : liste des initiatives d’éducation environnementale permettant de sensibiliser au dérangement de la faune locale.

Les gestionnaires présents dans la salle nous font part de leur savoir pratique, et des observations qu´ils sont en mesure de réaliser sur l´évolution de la distribution des animaux. Les échanges sont nombreux, et les regards disciplinaires se croisent. Plusieurs mesures d’atténuation sont proposées : pour certains, il s’agit de miser sur les restrictions spatiales ou temporelles, alors que d’autres soulèvent la nécessité de miser sur les dispositifs d’éducation et de sensibilisation.

Entre deux considérations sur les chocards, l´intervention nous aiguille sur les rapports que nous entretenons avec la biodiversité animale…et nous donne de la matière pour penser notre rôle dans les écosystèmes montagneux.


Pour en savoir plus :

Le projet Biodiv´sports : concilier les pratiques sportives et respect de la biodiversité

Pour obtenir des informations relatives à la faune avant de préparer votre itinéraire, rendez-vous sur Be Part of The Mountain

Consultez la page profil de Léna Gruas sur Research Gate

Tout le programme des Sciences Sandwich 2019

 

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