Plantes de haute altitude, des capacités d’adaptation insoupçonnées

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Christophe Randin, chercheur écologue à l’Université de Lausanne et conservateur aux Musée et Jardins botaniques du Canton de Vaud, évoque au CREA Mont-Blanc ces plantes « warriors » dont les capacités d’adaptation ne cessent de nous surprendre. Certaines traversent les changements climatiques depuis des millions d’années en jouant avec les propriétés de la micro-topographie. Ces plantes pourront-elles persister face au réchauffement actuel, particulièrement rapide ? Quelques éléments de réflexion.

 

L’edelweiss (Leontopodium alpinum), un symbole de nos Alpes mais qui serait arrivée récemment de Chine à raison de 1 à 10 km par an lors de la dernière grande glaciation, lorsque le climat plus froid a créé des ponts alpins et steppiques entre Asie et Europe pour permettre ce long périple. Photo : C. Dentant (Parc national des Ecrins)

Les « îliennes dans le ciel »

Les zones situées au-dessus de la limite de la forêt forment des « îles dans le ciel », isolées les unes des autres par les forêts et les vallées, comme des îles par les océans. Cet isolement des populations, de plantes notamment, entraine des évolutions génétiques différentes et un très fort endémisme.

D’où le fait que 25% de la flore européenne se situe au-dessus de la limite de la forêt, alors que ces zones ne représentent que 3% du territoire européen.

Depuis environ 3 millions d’années, la surface de ces îles alpines fluctuent, selon les alternances entre glaciations et périodes interglaciaires. Et leurs habitants suivent : ils se déplacent à plus basse altitude lorsque le climat est plus froid, jusqu’à parfois se connecter à l’île voisine et favoriser un brassage génétique ou le passage d’une espèce d’une zone des Alpes à l’autre. Un sujet d’étude passionnant pour un biogéographe comme Christophe Randin qui reconstruit avec des modèles les allers et venues des plantes de haute altitude au fil de millénaires  et imagine leur futur.

Les îles dans le ciel, « fabriques d’espèces » et refuges climatiques pour les plantes. Source : C. Randin

Traverser les changements climatiques : s’adapter ou migrer

Les plantes alpines ont développé des adaptations spécifiques pour supporter, pour certaines, des amplitudes thermiques annuelles de 80°C ! Lorsque les conditions climatiques changent, les plantes ont deux cordes à leur arc pour survivre.

La première est de développer de nouvelles adaptations au fil des générations, en restant au même endroit. Ceci exige soit du temps pour que la sélection naturelle fasse son œuvre au fil du temps, soit une « plasticité » importante des populations actuellement en place. La plasticité permet de réagir à de nouvelles conditions, sans changer de patrimoine génétique.

La deuxième consiste à migrer, soit en altitude, soit plus loin géographiquement vers des milieux où elles retrouveront les conditions climatiques perdues. Pourtant, le voyage des graines n’est pas une sinécure et l’échec est fréquent. La migration est d’abord contrainte par la capacité de dispersion des graines : a priori une espèce produisant des graines dispersées par le vent a plus de chances de suivre des conditions favorables quand le climat change alors que des graines lourdes ou très petites s’éloigneront peu des parents. Les plantes doivent ensuite passer le « filtre du paysage », c’est-à-dire traverser des zones non favorables : fragmentation du paysage par les activités comme, par exemple, l’aménagement des stations de ski, le rendant alors plus difficile à traverser. Enfin, si au terme de son périple une graine réussit à germer dans un habitant climatiquement favorable, elle est rarement la bienvenue ; elle entre en compétition directe avec les espèces déjà en place.

Les microreliefs sauveront-ils les plantes de haute altitude ?

A l’inverse des idées reçues, on a constaté une augmentation de la diversité des espèces végétales sur les sommets alpins ces dernières décennies. Les plantes de basse altitude remontent sur les sommets, et cohabitent avec les plantes de haute altitude, occupant le paysage de manière encore assez dispersée. C’est l’acte I du changement climatique actuel.

Acte II, le long terme : faire face à des températures qui ne cessent d’augmenter, et de plus en plus rapidement. Les plantes de haute altitude trouveront-elles de nouveaux refuges, toujours plus hauts, propices à leur croissance ? Sauront-elles gérer la compétition des espèces venues d’en bas ? Les plantes alpines, extrêmement spécialistes, sont en effet de piètres compétitrices – elles sont par exemple beaucoup moins efficaces pour la croissance et atteignent des hauteurs moindres pour se protéger du climat en altitude par rapport aux plantes de plus basse altitude.

Les modélisations à large échelle sont peu optimistes pour ces espèces (voir l’exemple de la Renoncule des glaciersRanunculus glacialis), avec des taux d’extinction prédits de 35 à 55% d’extinction d’ici 2070-2100. Trop tranché pour Christophe Randin, qui tente de comprendre plus finement ces chiffres, en intégrant une particularité essentielle de la montagne aux modélisations : les micro-reliefs.

Paysage alpin au col de la Furka (Suisse) photographié à la caméra thermique. Les températures moyennes journalières de cette journée estivale s’échelonnaient entre 5°C et 18°C suivant l’endroit où l’on se trouve dans le paysage. Une incroyable diversité de niches climatiques sur une superficie réduite et une aubaine pour les plantes en période de changement climatique.  Source : Scherrer, D. & Koerner, C. (2010) Infra-red thermometry of alpine landscapes challenges climatic warming projections. Global Change Biology, 16, 2602-2613.  Scherrer, D. & Korner, C. (2011) Topographically controlled thermal-habitat differentiation buffers alpine plant diversity against climate warming. Journal of Biogeography, 38, 406-416.

 

Une grande diversité climatique sur une superficie réduite, voici peut-être une porte de sortie pour ces espèces alpines qui y trouvent des micro-refuges, à portée de dispersion de graines pour les plantes les plus chanceuses.

En se déplaçant de quelques (dizaines de) mètres dans un paysage, une plante pourrait compenser les augmentations de températures. Plus facile que de monter sur de grandes distances en altitude ! D’autant que plus on monte plus la forme pointue des montagnes entraine une compétition acharnée pour un espace de plus en plus réduit. Source :  https://alpandino.org

Dans le cadre d’une thèse de doctorat sous la direction de Christophe Randin, Theofania Patsiou a notamment travaillé sur la saxifrage à nombreuses fleurs (Saxifraga florulenta). Cette espèce rare de haute altitude a traversé 3 millions d’années de changement climatique dans les Alpes maritimes (son « île dans le ciel » à elle), sans disparaitre. Résultat surprenant, cette saxifrage ne semble pas connaitre jusqu’ici de stress climatique, car elle a toujours trouvé des nappes d’air froid où se réfugier, en bord de lacs notamment durant les périodes de réchauffement du Quaternaire, et plus récemment depuis la dernière glaciation du Würm. Reste à savoir (i) combien de temps ces nappes persisteront, (ii) si ces bords de lacs ne seront pas bientôt colonisés par la forêt que cette saxifrage tient en horreur, ou d’autres plantes plus compétitrices et (iii) si cette plante qui se reproduit une seule fois avant de mourir, tous les 10 à 40 ans, ne sera pas prise de vitesse dans ses migrations par la rapidité du changement climatique. Etude à suivre !

 

Rédaction : Irene Alvarez

 

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