Pollinisation et abeilles sauvages

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Les abeilles font partie de l’imaginaire collectif : craintes ou admirées, aujourd’hui leur survie inquiète. Si les abeilles vont mal, où va-t-on ? Colin Van Reeth, docteur en écologie, a présenté son travail sur la pollinisation et les abeilles sauvages au Science Sandwich #2 du CREA Mont-Blanc. Retour sur ce déjeuner-conférence bourdonnant.

 

Abeille sauvage Andrena cineraria sur une fleur de Cardamine © CVanReeth
Abeille sauvage Andrena cineraria sur une fleur de Cardamine des prés  © CVanReeth

 

Il est midi et demi, les derniers participants de ce 2nd Science Sandwich pénètrent dans l’Observatoire du Mont-Blanc. En ce mardi 13 février, ce sont 11 personnes qui se rassemblent avec curiosité dans la salle principale de l’ancien laboratoire de Joseph Vallot, malgré l’appel du beau temps.

Dans le ronronnement du matériel informatique et les bavardages discrets, Colin Van Reeth s’éclaircit la voix. Il s’apprête à présenter les résultats de 3 années de recherche en thèse de doctorat. Au programme, un exemple simple et parlant pour tout un chacun – la pollinisation et les abeilles – pour illustrer des notions fondamentales en recherche en écologie.

La pollinisation : aux fondements de notre agriculture

76 % des plantes cultivées dans le monde dépendent en partie ou complètement des animaux pour leur reproduction. Cela représente 35 % de la production mondiale. Pour chaque espèce cultivée, le degré d’importance de la pollinisation est plus ou moins élevé.

Le rétroprojecteur s’anime de nombreuses images qui tour à tour appuient le discours de Colin. La pastèque, par exemple est complètement dépendante de la pollinisation par les insectes. L’espèce ne pourrait survivre en leur absence. Pas de soucis à se faire au contraire pour la vigne, dont les fleurs sont capables de s’autopolliniser. Nos cépages sont saufs.

L’assemblée est intéressée mais reste sage, jusqu’au moment où une équation apparait à l’écran. Colin s’amuse des symboles illisibles et explique, sous les rires du public, qu’il est possible de mettre en équation la « valeur économique du service de pollinisation fourni par les animaux». Un appel à participation invite chacun à faire le calcul et après quelques pronostics hasardeux, le chiffre tombe : 153 milliards d’euros sont « économisés » chaque année dans le monde essentiellement grâce à l’activité des insectes. En France, la contribution des insectes pour polliniser les plantes cultivées (essentiellement le colza, les pommiers et les pêchers) représente près de 2 milliards d’euros par an.

 

Mise en équation de la valeur économique du service de pollinisation © CVReeth - source Gallai et al. (2009)
Mise en équation de la valeur économique du service de pollinisation fourni par les animaux © CVReeth – source Gallai et al. (2009)

Les abeilles sauvages : familières mais méconnues

L’ambiance est à la participation, Colin surveille sa montre, surpris par l’interactivité de ce déjeuner-conférence. Avant de poursuivre, il rappelle quels sont les animaux qui pollinisent les plantes : l’abeille domestique, bien sûr, la plus connue et la seule abeille en France à faire du miel, mais aussi les abeilles sauvages (comme le bourdon), les papillons, les diptères (mouches) et certains oiseaux et mammifères (colibris, chauves-souris…). Les candidats à la pollinisation sont nombreux. L’intervenant en vient finalement aux héroïnes de la séance, les abeilles sauvages.

Devant un trombinoscope qui présente la grande diversité de formes et de couleurs des abeilles sauvages, Colin lance les paris : combien existe-t-il d’espèces d’abeilles sauvages en France ? Le public est réceptif et les propositions fusent : 47. 100. 53. 60. Plus. 274. Plus. 500. Vraiment plus. 786. 805. Les enchères montent. Il existe en réalité 949 espèces d’abeilles sauvages en France.

949 espèces d’abeilles sauvages en France

Sur ces 949 espèces en France, Colin en a identifié 130 en Moselle, pendant son travail de thèse. Des identifications pas évidentes, témoigne-t-il, impossibles à l’œil et qui obligent la capture. Il est nécessaire d’utiliser des dispositifs artisanaux qui ne permettent d’attraper qu’un à trois insectes à la fois.

Leur diversité va au-delà de l’apparence bien sûr : les sites de nidification (dans le sol, dans le bois ou dans des cavités naturelles variées), les exigences alimentaires (une seule ou plusieurs familles de plantes butinées), les cycles saisonniers (la phénologie – présence de mars à octobre ou seulement deux mois dans l’année) et les types de socialités (insectes solitaires ou sociaux). Environ 70 % des espèces sont solitaires, les autres présentent un début de comportement social voire même une organisation très élaborée se rapprochant de celle des abeilles domestiques. En ce qui concerne l’abeille domestique, jusqu’à 80 000 individus peuvent cohabiter avec un partage des tâches stricte entre les individus de la colonie.

Les abeilles, espèces menacées ?

Jusqu’à 60 % des espèces d’abeilles sauvages en Europe, environ 2000 espèces, seraient menacées. Les causes à l’origine de ce déclin sont nombreuses : les produits phytosanitaires, l’introduction d’espèces parasites, pathogènes ou invasives (comme le frelon asiatique), la diminution de la surface d’habitats favorables (prairies extensives, haies) ou le changement climatique, qui peut provoquer une désynchronisation entre l’émergence des fleurs et la période d’activité des insectes. Tous ces paramètres, qui interagissent entre eux, affectent la distribution et l’abondance des insectes.

 

Andrena cineraria, l’abeille sauvage paresseuse

Colin présente également le détail de ses travaux de recherche en thèse de doctorat à l’Université de Lorraine où il s’est intéressé à l’influence des cultures (le colza dans ce cas précis) sur l’abondance d’abeilles sauvages d’une année sur l’autre. Des résultats de ses recherches aux manipulations qu’il a dû réaliser en passant par ses questionnements personnels, Colin partage avec aisance ses découvertes et ses valeurs.

Il a étudié une espèce en particulier, Andrena cineraria, qui a la particularité de butiner les fleurs de colza et de nourrir ses larves pendant la période de floraison du colza. Grâce à un total de 1287 individus capturés sur différents sites, Colin a observé une augmentation de 124 % du nombre d’individus lorsque la surface occupée par le colza passait de 0 à 15% de la surface totale de la zone. L’espèce étudiée est donc capable de profiter des ressources abondantes fournies par le colza (nectar et pollen) pour nourrir plus de larves d’insectes et ainsi augmenter le nombre d’individus actifs l’année suivante.

Plantes cultivées VS plantes sauvages, la victoire du « fast-food »

Mais quelle influence ce changement alimentaire des abeilles peut-il avoir sur la pollinisation des plantes sauvages voisines ? Colin a mis en place plusieurs expérimentations sur les plantes sauvages, marquant des dizaines de fleurs d’un cordon de coton noir noué autour de la tige, ensachant des fleurs témoins pour empêcher les pollinisateurs de les féconder… un travail minutieux et laborieux.

Colin conclut finalement en disant qu’il existe une forte compétition sur le territoire entre certaines plantes cultivées et les plantes sauvages. Plus le colza gagne du terrain et plus les abeilles favorisent cette source d’alimentation, moins les plantes sauvages sont butinées et moins elles produisent de graines.

13h31. Malgré la vingtaine de questions qui auront animé ce débat, Colin a tenu le chrono. Les participants auront dévoré ses propos comme leurs sandwichs, dont les miettes sur la table de réunion de l’Observatoire du Mont-Blanc attestent de la gourmandise. L’univers de ces insectes et de ceux qui les étudient est maintenant plus familier.

 

Rédaction : Charlotte Mader


Pour en savoir plus

Les prochains Science Sandwich : Sciences sandwich – programme 2018

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