Sciences participatives : histoire et avenir des données

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Les sciences participatives ont une longue histoire derrière elles et connaissent depuis quelques années un regain de vitalité avec l’émergence de millions de « citoyens-chercheurs ». En parallèle, la communauté scientifique s’interroge sur la validité des données issues de programmes citoyens. Retour sur l’intérêt et l’utilisation de ces données par la science par Marjorie Bison.

Relevés participatifs des mares de Loriaz pour le suivi des dates de ponte des grenouilles rousses © IAlvarez
Relevés participatifs des mares de Loriaz pour le suivi des dates de ponte des grenouilles rousses © IAlvarez

 

Plusieurs siècles de données participatives

Les sciences citoyennes ne sont pas nouvelles. Avant la professionnalisation des sciences à la fin du 19ème siècle, les recherches scientifiques étaient conduites soit par des amateurs, soit par des personnes qui n’étaient pas payées en tant que scientifiques. Ces personnes étaient motivées par un intérêt pour des questions scientifiques en particulier et certaines contributions ont permis d’obtenir des collections d’intérêts inestimables d’animaux, plantes, roches et fossiles du monde entier. Au-delà des collections de spécimens, d’autres passionnés ont quant à eux réalisé des collections de photographies ou d’observations.

La phénologie, science du peuple

Les rythmes saisonniers et cycles de la nature ont depuis longtemps été observés par l’homme. En Bourgogne par exemple, les dates de récolte du raisin Pinot Noir ont été soigneusement enregistrées dans des archives municipales et paroissiales depuis 1370. Les données ont permis de reconstruire les températures printanières et estivales depuis 1370 grâce à la forte relation entre la température et la date de récolte du raisin. Les chercheurs qui ont analysé ces données montrent que l’été 2003 a été exceptionnellement chaud, avec les plus hautes températures enregistrées depuis 1370.

Aux Etats-Unis, le célèbre écrivain et philosophe Henry David Thoreau a relevé de 1851 à 1858 des données de phénologie de 43 espèces d’arbres présentes dans la forêt de Concord, dans le Massachussetts, ainsi que les premières dates d’arrivée des oiseaux migrateurs. Les observations ont ensuite été poursuivies par des professionnels et des amateurs. Ces enregistrements historiques, combinés avec des observations modernes, ont été utilisés pour démontrer que la phénologie des plantes répondait plus fortement aux fortes températures que la phénologie des oiseaux, pouvant mener à des désynchronisation entre l’arrivée des oiseaux et l’abondance des ressources alimentaires par exemple.

Plus récemment, Billy Barr, un ermite des rocheuses, a apporté un aperçu inattendu sur l’environnement alpin de ces montagnes grâce à des relevés faits depuis 40 ans sur les dates d’enneigement et de fonte, de quantité de neige entre ces périodes, de sortie d’hibernation des animaux et du retour des oiseaux au printemps.

Un formidable renouveau pour les sciences participatives

Aujourd’hui, des millions d’individus à travers le globe sont engagés dans des projets scientifiques.  Ces personnes – qui dans la majorité des cas ne sont pas des scientifiques professionnels bien que certains soient des amateurs experts ! – prennent ainsi activement part au monde de la recherche.

Certains mettent en place des projets locaux pour répondre à une question relative à leur environnement. Par exemple, le programme « Save our Streams » a été mis en place en 1969 par des volontaires pour protéger et restaurer les ruisseaux de l’état du Maryland aux USA. Depuis, ce programme est largement reconnu pour son rôle dans la compréhension et la restauration des cours d’eau aux Etats-Unis.

 

Programmes de sciences participatives
Programmes de sciences participatives

 

D’autres collectent des données pour les divers projets de science participative. Nous pouvons, entre autres, citer eBird (observations d’oiseaux), Galaxy Zoo (classification de galaxies) ou encore Project Budburst (suivi de la phénologie de la végétation) qui rassemblent une grande communauté de « citoyens-chercheurs ». En France, d’innombrables programmes sont recensés par le Comité National Sciences Participatives Biodiversité.

Grâce à toutes ces données collectées, les scientifiques ont ainsi accès à des bases de données beaucoup plus importantes que s’ils les avaient construites par eux-mêmes, à la fois en terme de quantité d’observations et d’échelle géographique.

Des données précieuses pour la recherche

La collection de ces données peut permettre de répondre à des hypothèses, de faire perdurer une longue histoire d’observations, ou avoir un rôle exploratoire permettant de générer des hypothèses qui seront testées par la suite grâce à des protocoles plus fins.

Au CREA Mont-Blanc, les participants au programme Phénoclim collaborent activement à la recherche sur l’impact du changement climatique sur la phénologie de la végétation, en relevant de manière régulière les stades phénologiques de différentes espèces d’arbres ou de plantes de montagne. Ces données sont ensuite utilisées par des chercheurs comme Daphné Asse, doctorante au CREA Mont-Blanc, qui essaie de comprendre et de prédire la réponse des écosystèmes forestiers d’altitude au changement climatique.

Fiabilité : donnée scientifique VS donnée citoyenne ?

Les collections de spécimens, photos et données anciennes éclairent indéniablement les chercheurs en écologie, évolution et biologie de la conservation d’aujourd’hui. Par exemple, elles sont utiles dans l’analyse du changement d’abondance et de distribution des espèces face au changement d’usage des terres, au changement climatique et autre forces anthropogéniques.

Cependant, des problèmes d’analyse et d’interprétation des résultats issus des données de sciences participatives ont vu le jour. À quel point peut-on faire confiance aux données de science participatives ? Une donnée récoltée par un « amateur » peut-elle être aussi fiable qu’une même donnée récoltée par un chercheur ? Peut-on en tirer des conclusions scientifiques robustes acceptées par le reste de la communauté scientifique ?

 

Comment différencier une donnée extrême, importante pour la recherche, d'une donnée fausse ? © CREA Mont-Blanc
Comment différencier une donnée extrême, importante pour la recherche, d’une donnée fausse ? © CREA Mont-Blanc

 

En effet, les volontaires à ces projets viennent de tous horizons et ont des compétences et des expériences différentes. Pour Phénoclim par exemple, des particuliers, des professionnels d’espaces protégés et des classes d’élèves participent aux mesures de la phénologie de la végétation. Même si la motivation et le souhait d’apporter une donnée parfaite est présente chez chacun des participants, personne n’est à l’abri d’une erreur, même chez les professionnels.

Identifier l’origine de l’erreur

Pour Phénoclim, ces erreurs peuvent avoir différentes origines : un stade observé trop précocement ou trop tardivement, une mauvaise saisie de la donnée sur son carnet de note ou sur Internet, ou encore une inversion d’individu. Au CREA Mont-Blanc, lorsque des données nous intriguent, nous contactons le participant en question. Cependant, il ne nous est pas possible de vérifier la totalité des données. C’est pour cette raison que nous devons mettre en place une méthode qui nous permette de repérer les données les plus aberrantes.

Encore peu d’études s’intéressent à la qualité des données de science participative, et au CREA Mont-Blanc nous voulons donc déterminer à quel point nous pouvons faire confiance aux données du programme Phénoclim. En comprenant mieux les origines de variation entre les données, nous pourrons mettre en place – si besoin il y a – des solutions pour anticiper les erreurs et identifier les données peu probables. Ces analyses sont en cours de réalisation, il faudra donc attendre un peu avant que nous vous apportions des éléments de réponse sur la qualité de ces données !

Pour conclure, les sciences participatives sont en plein essor aujourd’hui, et tendent à créer un lien nouveau entre les sciences et le public. Les données issues de ces programmes sont d’une grande richesse et ont déjà mené à la publication de nombreux articles scientifiques. Finalement, grâce à l’engagement des citoyens dans la recherche, de nouvelles questions et de nouvelles visions de la science émergent, tout en favorisant une nouvelle forme d’éducation scientifique.

 

Rédaction : Marjorie Bison


Références

Chuine et al. 2004 – Historical phenology: grape ripening as a past climate indicator, Nature

Miller-Rushing et al. 2012 – The history of public participation in ecological research, Frontiers in Ecology and the Environment

Primack & Gallinat 2016 – Spring budburst in a changing climate, American Scientist

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